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L’impunité des auteurs des violences sexuelles, un des obstacles majeurs à l’indemnisation des victimes en RDC 

Kinshasa, 12 Mai 2022 (ACP).- Des dizaines de milliers des femmes et filles en RDC sont victimes des violences sexuelles dont les auteurs restent impunis ou sont souvent remis en liberté et continuent ainsi à perpétrer ces actes ignobles, malgré la multiplicité des instruments juridiques internationaux et nationaux de protection des droits de la femme.

Agathe Ifomi (nom d’emprunt), âgée de 27 ans, affirme avoir été violée à 14 ans par deux hommes qui louaient une maison dans la parcelle de ses grands-parents.

Et malgré les poursuites judiciaires, ces criminels ont été relaxés quelques mois plus tard. « Je me suis sentie plus souillée le jour où j’ai appris que ces deux jeunes locataires de mes grands-parents ont été relâchés. Malgré les efforts de mes oncles, ces bourreaux n’ont toujours pas été punis», affirme-t-elle.

«Le sentiment de trahison et d’impuissance nous envahit lorsqu’on voit notre bourreau circuler librement, bien qu’on a gagné le procès. La relaxation des auteurs des violences sexuelles nous déshonore davantage et nous pousse à nous rendre justice », témoigne une survivante des violences sexuelles qui invite les acteurs de la justice à comprendre leur peine et à faire appliquer correctement et strictement la loi.

Selon Mme Rose Masala, directrice nationale de l’Union congolaise des femmes des médias (UCOFEM), cette situation empêche les victimes d’obtenir justice et indemnisation, car la corruption a envahi le système judiciaire.

Le plus offrant achète d’avance  toutes les décisions. Ce qui laisse les victimes dans une situation encore plus précaire, ne sachant à quel saint se vouer. «Mais le projet de loi portant exemption des frais de justice pour les victimes des violences sexuelles et  basées sur le genre (VSBG), une fois voté, portera un souffle nouveau à cette question. C’est pourquoi l’UCOFEM avec d’autres structures de la société civile mène des missions de plaidoyer auprès des autorités pour qu’elles appuient l’aboutissement au Parlement dudit projet de loi et au-delà, sa mise en application»,  a déclaré Mme Masala.

Quid de l’application de la loi de 2006 sur les violences sexuelles ?

L’aboutissement du projet de loi portant exemption des frais de justice pour les victimes des violences sexuelles sera un grand pas vers l’indemnisation des survivantes.

Toutefois, le fait de faire passer ou de voter une loi ne résout pas totalement le problème des violences sexuelles en RDC, car seule son application stricte constitue une solution pour combattre ou décourager la remise en liberté des auteurs des violences sexuelles, affirme le député national Heva  Muakasa pour qui l’application de la loi de 2006 sur les violences sexuelles est un échec en RDC.

Les responsables de cet échec sont essentiellement les personnes qui sont censées appliquer la loi, soutient-il. «Le laxisme, la partialité et la complaisance des magistrats du parquet et de ceux du siège constituent les plus grands obstacles pour rendre justice en cas de violences sexuelles. Une complaisance  attribuée à la corruption des agents de l’Etat», selon Heva Muakasa.

Interrogé par l’ACP, un magistrat du tribunal de paix de Kinshasa-Ngaliema fait savoir que plusieurs obstacles empêchent l’application effective de cette loi, notamment les moyens insuffisants mis à la disposition de la Justice. Au terme de cette loi, les magistrats n’ont que quatre mois au maximum pour traiter un cas de violence sexuelle. C’est un délai court au regard des moyens à la disposition des magistrats. A cette entrave s’ajoutent le refus des victimes de collaborer avec la justice et le conflit entre l’ordre public et l’ordre familial, dictés par la sauvegarde de l’honneur et de la dignité des victimes.

Sous la pression de la famille, certaines victimes ne dévoilent pas les identités de leurs bourreaux ni l’état dans lequel elles se trouvent.

Pour Me Liévin Gibungula, avocat coordinateur à la Ligue de la Zone Afrique pour la Défense des Droits des Enfants et Elèves (LIZADEEL), la relaxation des auteurs des violences sexuelles compte parmi les obstacles empêchant les survivantes d’accéder à la Justice. Et pourtant, il existe des dispositions légales dans le code pénal qui sanctionnent ce comportement.

Les complices d’un crime ou d’un délit seront punis de la même peine que les auteurs de ce crime ou de ce délit, sauf pour les cas où la loi en aurait disposé autrement. Il a, par ailleurs, recommandé aux pouvoirs publics de mettre des moyens à la disposition de la Justice. Aux officiers du ministère public et aux juges saisis en matière de violences sexuelles, il demande de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie des victimes et de toute autre personne impliquée.

Notons que cette enquête a été réalisée avec l’appui de l’ONG internationale JDH (Journalistes pour les Droits Humains) dans son programme Canada-monde, la voix des femmes et des filles. ACP/ZNG/RNL/Nig/MNI/ TKM/ MMC

 

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